15 avril 2013, Bilbao (Bilbo)
Monsieur le Vicaire épiscopal, Messieurs les Présidents,
Merci beaucoup des paroles élogieuses. Avec leur laisser-aller habituel, les Américains ont une réponse spirituelle à chaque situation. Dans celle qui est la mienne ici, ils diraient : Si mes parents étaient là, s’ils pouvaient entendre ces éloges, mon père serait très fier de moi et ma mère croirait littéralement tout ce qui a été dit. Permettez-moi de vous dire tout d’abord pourquoi je suis des vôtres aujourd’hui. En 2012, j’ai été invité à une conférence catholique à Madrid pour y parler de la nouvelle loi fondamentale hongroise. Cette loi fondamentale est une constitution basée sur des fondements chrétiens. Elle a suscité un immense intérêt en toute l’Europe. Les chrétiens l’ont applaudie tandis que les forces qui s’opposent à nous se sont mises à nous pilonner. Et certes, la question se pose légitimement: comment il a pu arriver qu’au début du 21e siècle une constitution nouvelle, de base chrétienne soit adoptée dans un pays.
Mesdames et Messieurs,
Avant d’en parler, je voudrais vous transmettre les meilleurs vœux de Hongrois. Nous suivons ce qui se passe en Espagne et plus particulièrement en pays basque. Nous savons quel combat vous menez contre la crise économique. Nous ressentons nous-mêmes les difficultés qui rongent votre vie quotidienne, nous suivons les efforts épuisants de votre gouvernement, nous connaissons l’impatience, la fureur et la déception suscitées dans les hommes par la situation européenne actuelle. Je m’entretiendrai de tout cela demain à Madrid avec M. le Premier-ministre Rajoy. Mais si je suis venu à vous aujourd’hui, comme je l’ai fait plus tôt à Madrid c’est que je pense que les chrétiens européens doivent être solidaires, car ceux qui défendent d’autres idéaux sont forts, bien organisés, solidaires les uns avec les autres, aident les uns les autres ce qui n’est pas toujours le cas chez nous, les chrétiens et les forces politiques chrétiennes. J’ai le sentiment que nous avons besoin d’être encouragés les uns par les autres dans les efforts de motivation chrétienne que nous déployons chaque jour dans notre propre vie et dans la vie publique. Venir à Bilbao était d’ailleurs un vieux rêve pour moi. Je suis né en 1963 et, en 1976, Újpest, mon club de football préféré a joué ici un match de football; par un jeu intransigeant, courageux, vous nous avez bien battus 5 à 0. Depuis ce temps-là, je me prépare à venir voir le peuple qui nous a malmenés à ce point…
Mesdames et Messieurs,
Par dessus le marché, je suis venu avec une belle assurance. Je suis arrivé samedi, il y a deux jours et, jusqu’à mon arrivée, je pensais que la politique hongroise représentait la chose la plus compliquée du continent européen : nous avons connu le communisme, la transition, nous avons sept pays voisins, nous avons perdu des guerres mondiales, nos voisins occidentaux sont les Autrichiens parlant allemand, et nos voisins de l’Est sont les Ukrainiens qui appartenaient hier encore à l’Union soviétique ; nous vivons dans un monde compliqué. Je parcours donc le monde avec assurance, convaincu que celui qui trouve son chemin dans la politique hongroise trouvera son chemin partout. Or, depuis deux jours, j’ai eu des conversations avec des Basques et j’ai changé d’avis. J’ai perdu un peu d’assurance en découvrant que le pays basque est encore plus complexe que la politique hongroise. On s’y reconnaît encore plus difficilement, on doit y considérer des aspects bien plus nombreux, mais j’ai pris mon courage à deux mains et je n’ai pas renoncé à cette intervention.
La Hongrie est loin d’ici. Pour comprendre mes propos, vous devriez pourtant connaître un peu les Hongrois. Je ne dispose pas d’assez de temps pour vous tout raconter. Je vous dis simplement que notre peuple est passionnant, particulier. Il parle une langue que personne d’autre ne comprend dans le monde, nous n’avons aucun parent, nous avons le sentiment d’être les seuls à faire vivre la culture qui est la nôtre, nous avons une façon de penser propre à nous. Pour nous présenter, le mieux est probablement de vous énumérer un certain nombre de choses importantes pour la vie quotidienne inventées par des Hongrois. Cela en dit long de la façon de penser des Hongrois. Le stylo à bille, le café express, l’ordinateur sont autant d’inventions hongroises. Cela peut aider probablement à comprendre ce qui se passe actuellement en Hongrie.
Mesdames et Messieurs,
Le titre de mon intervention est Réponse chrétienne aux défis posés à l’Europe. Certains peuvent penser que j’ai l’intention de parler, sous ce titre, des problèmes concrets déprimant l’Europe : crise économique, chômage, problèmes démographiques, migration, problèmes ethniques, violence, dépendance énergétique, changement environnemental et climatique. On pourrait parler de chacun de ces thèmes en y appliquant la manière de voir chrétienne. Cela pourrait être passionnant mais je pense que la crise a une cause originelle responsable en réalité de tous nos maux, y compris des crises économique et financière. J’ai le sentiment que sans trouver de réponse à cette cause originelle, à cette véritable question, nous ne serons capables de traiter les autres crises que de manière superficielle, palliative. Voilà pourquoi je souhaite vous parler aujourd’hui du défi principal posé à mon avis à l’Europe.
Je voudrais parler d’abord de la situation actuelle en Europe. Puis de la question de savoir comment nous en sommes arrivés jusque là. Ensuite de la manière dont nous pourrons en sortir, de cette situation et, enfin, de ce que devraient faire les chrétiens et les hommes politiques chrétiens.
Je suis un homme politique, mes arguments seront donc d’ordre non religieux et théologiques mais d’ordre social, culturel et politique. Certes, une difficile question se pose d’emblée : ai-je le droit de me prononcer au sujet de problèmes aussi difficiles ? Je suis dans la vie politique depuis près de trente ans. J’ai commencé par participer aux organisations non publiques, clandestines contre le communisme. En 1988, nous avons créé un mouvement anticommuniste, d’opposition. Les premières élections libres ont eu lieu en Hongrie en 1990, et j’ai été élu député à l’âge de 27 ans. En 1998, nous avons gagné les élections et, à l’âge de 35 ans, premier-ministre, j’ai pu former un gouvernement. J’ai conduit la plupart des négociations d’adhésion à l’Union européenne avec Bruxelles. En 2002, nous avons perdu les élections et nous sommes restés dans l’opposition en face des socialistes pendant 8 ans, et, au bout de 8 ans, nous sommes revenus au pouvoir ayant obtenu plus des deux tiers des sièges au parlement. En 2011, c’est la Hongrie qui exerçait la présidence tournante de l’Union européenne et j’ai conduit ce travail également. Tout cela paraît constituer suffisamment de motifs pour que je me permette de m’exprimer au sujet d’un certain nombre de questions relatives à l’Union européenne ; non pas de l’angle de la doctrine mais de l’aspect pratique de la politique européenne que je connais.
Mesdames et Messieurs,
Nous avons tous lu dans les journaux que l’Europe avait perdu une partie notable de sa compétitivité économique. D’autres sont plus forts que nous, se développent plus rapidement et sont plus compétitifs. Ce n’est pas la première fois que cela arrive et cela peut arriver à tout le monde. La vraie question est cependant de savoir comment la crise a pu surgir aussi soudain. Pourquoi nous n’avons pas arrêté les processus plus tôt, pourquoi personne n’a endigué l’endettement ? Pourquoi personne n’a dit à temps que les choses allaient dans une mauvaise direction ? Où étaient nos dirigeants pour arrêter les processus et nous préparer à nous adapter au monde changé ? Pourquoi le mal s’est soudain abattu sur les familles et les pays, écrasé le niveau de vie des familles, des millions de familles en l’absence de toute adaptation programmée ?
A ce propos, une autre question reste à clarifier ! Est-il bon qu’un homme politique parle des rapports entre crise économique et chrétienté, ne serait-il pas mieux de laisser cette question aux scientifiques, aux philosophes ou aux théologiens ?
Mesdames et Messieurs,
J’ai ma propre manière de voir en la matière. Je suis convaincu que cléricaux et laïcs, catholiques et protestants, tous ceux qui sont engagés pour la chrétienté sont reliés par un sentiment commun, celui de la responsabilité de la sentinelle. Dans le livre d’Ézéchiel, on lit que si la sentinelle voit venir l'ennemi, l’ennemi en armes et ne sonne pas du cor, de sorte que le peuple n'est pas averti, Dieu lui demandera compte des vies humaines perdues. Pour moi, les responsables ecclésiastiques et séculiers européens sont de ces sentinelles qui ont l’obligation de parler aux gens de ce qu’ils considèrent comme étant des menaces, des maux. Voilà ce qui m’autorise à vous parler aujourd’hui de ce sujet.
En connaissant pleinement ma responsabilité, je constate comme point de départ que la crise financière et économique en cours en Europe n’est pas un événement quelconque du hasard pouvant être corrigé par quelques technocrates habiles, quelques experts économiques et financiers. La crise économique et financière est la conséquence d’une politique depuis longtemps présente sur le continent. Qu’est-ce que je constate, chers habitants de Bilbao, en écoutant aujourd’hui les responsables de Bruxelles ou les Premiers-ministres de nombreux pays européens ? En résumé et en simplifiant un peu, je constate ceci : la grande majorité d’entre eux pensent que la coexistence des gens en Europe doit être programmée en tenant compte exclusivement des lois économiques. Ils pensent que l’économie, le marché et l’argent, sève du marché représentent la principale source de la logique et que la logique de l’économie et du marché ne peut être contestée. A Bruxelles, on pense que la logique du marché fournit la solution à tous les maux sociaux. Et l’on pense également que chaque fois qu’un problème surgit, qu’un trouble se produit dans l’économie, dans l’économie de marché, le marché est capable de se corriger et de rétablir l’équilibre précédent. Ceux qui contestent ces dogmes sont traités d’irrationnels, de réactionnaires et souvent de dinosaures.
La façon de penser de l’autocratie de l’économie n’a pas manqué de créer son pendant politique. L’équivalent politique de l’autocratie de l’économie c’est l’individualisme libéral. Je ne suis pas sûr que ce soit la catégorie la plus précise mais vous comprenez peut-être ce à quoi je pense. Le point de départ c’est qu’il n’y a pas de bien public, que le « bonum publicum » n’existe pas, que seuls existent les intérêts individuels. Que seules les motivations et considérations individuelles comptent. Les autres impulsions qui appartiennent pourtant à la vie humaine comme la religion, la fierté nationale, les liens familiaux ne comptent pas par rapport aux intérêts économiques personnels. Cette culture dispose d’une manière de parler, de thèmes, d’un vocabulaire, d’un raisonnement bien établis. C’est le langage du relativisme moral. Il n’y a pas de vérités immuables, tout dépend de l’angle sous lequel on considère une chose.
Qu’est-ce qu’on n’entend jamais en écoutant les hommes politiques européens ? Quels sont les mots que l’on ne retrouve pas dans leurs discours ? On n’entend pas les mots honneur, fierté, vocation, obligation, patrie, amour de la patrie, fermeté, grandeur, gloire, équité, tous ces mots, on ne les entend pas. Comme s’ils n’existaient même pas. De nos jours, la politique européenne est dominée, à mon avis, par une vision politique séculaire agressive appelée progression. Les hommes politiques européens pensent que c’est l’avenir souhaitable pour les Européens : on progresse du croyant vers le non croyant, du national vers le supranational et de la famille vers l’individualisme. La majorité en place aujourd’hui à Bruxelles ne se contente pas de réfléchir de cette manière mais veut que ce soit ainsi. En réalité, qu’ils le veuillent ou non, ces gens réfléchissent et élaborent une société sans Dieu. Quant à la foi, ils pensent qu’elle n’est qu’un complément du style de vie individuel. Ils pensent en quelque sorte que chacun devrait garder sa foi pour soi sans vouloir faire valoir les conséquences qui en découlent dans la gouvernance, l’économie ou la politique européenne.
Je ne sais pas si là, en pays basque, vous vous rendez compte des manifestations de cette culture mais nous, en Hongrie, nous nous en rendons compte. En pensant à l’état actuel des autres continents, de l’Amérique du Nord, de l’Amérique du Sud, de l’Asie, de l’Afrique, vous pouvez observer un fait curieux. Il n’y a qu’un seul continent au monde dont les dirigeants ou la plupart des dirigeants affirment que l’homme est capable d’organiser le monde sans Dieu et sans les lois de Dieu. De nos jours, c’est une idée européenne. Quoique les États-Unis fassent partie de l’Occident, là-bas on ne pourrait défendre cette idée devant le public ; pas question non plus dans le monde islamique et les Indiens seraient également très surpris de voir quelqu’un vouloir les détourner des enseignements tirés de la religion hindoue.
Mesdames et Messieurs,
Je pense donc que la politique européenne actuelle est imprégnée de deux erreurs. La première erreur consiste à penser que la chrétienté n’a pas joué un rôle décisif dans la mise en place de l’Europe ; en effet, en discutant sur la mention de la chrétienté parmi les racines de l’Europe, cette proposition a été rejetée. Elle n’a pas été oubliée mais considérée et omise du texte du traité ! L’autre erreur, Mesdames et Messieurs, consiste à penser que les valeurs et les institutions occidentales peuvent être maintenues sans les principes moraux chrétiens.
Mesdames et Messieurs,
Regardons un peu les conséquences de ces erreurs. Ceux qui réfléchissent sur les sociétés humaines conviennent en général du fait que toute civilisation se base sur deux ressources principales : la force créatrice de l’homme et la conscience de la constance. La constance veut dire qu’on peut être sûr du fait qu’il existe autour de nous des valeurs immuables. Des valeurs qui nous aident à déterminer ce qui est bon et ce qui est mauvais, ce qui est vrai et ce qui est faux, ce qui est correct et ce qui est incorrect.
En regardant l’Europe, on voit qu’elle a négligé chacune de ces deux ressources. Elle a essayé de remplacer le travail et la création de valeurs par des spéculations financières, des crédits, et elle a échangé la constance contre le relativisme. Si l’Orient est aujourd’hui plus compétitif que nous c’est qu’il tient en plus haut estime chacune de ces deux ressources, qu’il respecte le travail plus que nous, et qu’il attache beaucoup plus de prix que l’Europe à ses traditions culturelles. Et pour le comble, Mesdames et Messieurs, quand les valeurs deviennent incertaines, on voit se perdre également l’honneur de l’autre ressource, de la force créatrice de valeurs de l’homme. En d’autres termes, quand on renonce aux valeurs constantes de la civilisation, les performances humaines se dégradent elles-mêmes. Voilà ce qui s’est passé avec nous en Europe, parce que nous avions commencé à avoir honte de nos racines chrétiennes, de nos traditions morales et culturelles et nous les avions négligées dans la construction européenne. Nous en sommes arrivés à un point où l’on peut remettre en doute en Europe les formes et entités des relations humaines telles que la nation et la famille. Dans la vie économique, le sens véritable du travail et du crédit est devenu incertain. En somme, les choses majeures – le travail, le crédit, la famille, la nation – même si elles continuent d’exister, ont perdu leurs attaches avec la base morale que leur avait assurée la chrétienté.
Une Europe appuyée sur l’ordre chrétien des valeurs n’aurait peut-être pas permis qu’en contractant des crédits sans provision les gens épuisent l’avenir de leurs familles. Une Europe représentant l’ordre chrétien des valeurs aurait peut-être été consciente du fait que pour chaque euro, y compris les euros contractés en crédit, il fallait travailler. Une Europe représentant l’ordre chrétien des valeurs donnerait peut-être du crédit plutôt à ceux qui travaillent, qui veulent travailler pour le recevoir. Une Europe commune représentant l’ordre chrétien des valeurs n’aurait jamais permis que des pays entiers s’enfoncent dans l’esclavage du crédit. Une Europe représentant l’ordre chrétien des valeurs plaiderait peut-être pour une politique qui répartirait équitablement les poids de la crise. Et que voit-on en réalité ? Si un gouvernement est contraint aujourd’hui en Europe de demander un crédit aux organisations européennes ou mondiales, il se voit obligé de prendre des mesures qui lui font perdre toute crédibilité devant ses électeurs. Viennent les restrictions qui ne représentent, à long terme, ni l’intérêt des gens, ni ceux des gouvernements, ni ceux des créanciers. En effet, si à la suite des innombrables restrictions l’ordre se relâche, la stabilité sociale prend fin et les cadres de la vie économique deviennent incertains, qui va travailler pour que l’on puisse rembourser les euros reçus en crédit ?
Mesdames et Messieurs,
Il est important de préciser qu’en parlant de la chrétienté et des fondements chrétiens de l’Europe, je ne veux pas vous parler de la foi personnelle en Dieu. Celle-ci est également importante. Mais je vous parle d’un autre aspect, de celui de l’organisation de la société et j’affirme à ce sujet : la chrétienté, l’Européen ne peut l’arracher de sa tête. L’Européen ne peut arracher de sa tête l’histoire biblique, l’histoire de la rédemption. Nous pouvons avoir des rapports variables à cette histoire et à ses personnages, nous pouvons en donner des interprétations multiples, certains peuvent même penser qu’il s’agit d’une histoire inventée de toutes pièces, mais il y a une chose qu’on ne peut pas faire et que l’on ne fera guère en Europe : on ne peut faire comme si cette histoire n’existait pas du tout et ne nous travaillait pas, nous autres Européens.
Car pour nous les Européens l’histoire de la chrétienté et le rôle moral de cette histoire constituent la principale ressource de notre civilisation. La principale ressource du monde arabe est l’islam, la ressource majeure du monde asiatique est le bouddhisme et l’hindouisme et la principale ressource de la civilisation occidentale est la culture chrétienne, la tradition chrétienne, la religion chrétienne indépendamment des rapports que nous avons réussi à établir avec le Créateur. En un mot, l’Européen ne peut jeter bas sa peau chrétienne. Cela devrait être compris à Bruxelles aussi. Cela n’a aucun sens d’imposer une identité européenne commune nouvelle dans le cadre de laquelle on n’accepterait pas le fait fondamental que les cadres moraux de la vie européenne sont fournis par l’histoire biblique. Tant qu’on continue de faire de la publicité pour que nous recherchions une nouvelle identité, tant qu’on s’ingénie à trouver des arguments rusés pour pouvoir ôter de la définition de l’Europe le fait que nous appartenons à la chrétienté, tant que les hommes politiques continuent d’œuvrer dans ce sens, notre continent continuera à se débattre dans un état de perpétuelle abnégation.
Je me permets de vous donner quelques exemples qui peuvent paraître, à première vue, amusamment évidents, sur les rapports qui existent entre les dangers civilisationnels et le renoncement à l’enseignement chrétien. Si, par exemple, nous pouvons voler les uns les autres au moyen de manipulations bancaires, pourquoi faudrait-il poursuivre les pickpockets ? Si on permet que les spéculateurs s’enrichissent en conduisant à la faillite une société ou tout un pays, avons-nous le droit d’emprisonner les fraudeurs et les voyous ? Si l’on reconnaît comme légal que quiconque s’enrichisse aux dépens des autres, si l’on permet que quelqu’un gagne de l’argent en spéculant à la faillite d’un pays et en ruinant ainsi des millions de personnes, sur quelles bases sanctionnons-nous les braqueurs ? Si l’Europe pense que la famille est une institution vétuste, pourquoi est-on surpris de voir venir au monde de moins en moins d’enfants, de voir que de moins en moins d’hommes d’âge actif doivent produire les pensions des personnes âgées et que nous devons importer en Europe de la main d’œuvre d’origine d’autres continents ce qui entraîne de graves problèmes ?
Mesdames et Messieurs,
Le fait est qu’aujourd’hui les Européens ne sont même pas capables de subvenir à leurs besoins biologiques. Ceci dit, permettez-moi de parler brièvement de ce que nous pouvons quand même espérer. Notre identité chrétienne veut dire aussi, et c’est une bonne nouvelle, que nous avons une chance de nous renouveler. Nous avons une communauté culturelle et morale commune. Nous avons une base solide nous permettant de repartir. Nous ne devons donc pas chercher de nouvelles bases spirituelles pour renouveler l’Europe. C’est notre base séculaire que nous devons utiliser de façon moderne dans la politique européenne pour élaborer des solutions économiques et politiques concrètes de traitement de crise.
Mesdames et Messieurs,
Je suis convaincu que l’héritage chrétien est un héritage passionnant, vivant et inspirateur. La chrétienté a réussi à placer au centre d’intérêt le dilemme le plus passionnant de la vie des Européens. Pour l’Européen, la liberté représente la valeur la plus importante. C’est l’ordre et le système de règles de la liberté et des règles limitant la liberté qui fournissent cette tension dramatique qui rend si passionnant l’histoire de la culture chrétienne européenne du début jusqu’à nos jours. Existe-t-il une force limitant la liberté ? Si oui, où sont les barrières le long desquelles les générations nouvelles peuvent définir leur vie ? Si nous voulons en sortir de la crise, si nous voulons clore l’actuelle période, nous devons, nous Européens, donner une réponse à la question de savoir où devront être les garanties et les barrières de la liberté au cours des décennies à venir, c’est-à-dire comment définir le bien public national et européen. Ce que je sais c’est que nous devons parler de la protection de la famille et de la vie, que nous devons élever au niveau du bien public le respect inconditionnel de la dignité humaine. Les règles relatives au capital financier et à la spéculation doivent être refondues. Nous devons renforcer le prestige du travail, du travail productif. Ces politiques ont des versions nationales spécifiques. De toute évidence, il faut procéder différemment en Suède, en Espagne, aux Pays-Bas ou en Hongrie. Voilà pourquoi à l’avenir Bruxelles devra respecter davantage les nations.
Mesdames et Messieurs,
La question qui reste est de savoir si l’ordre de la liberté, cet ordre européen est accepté par l’homme chrétien comme une potentialité ou considéré plutôt comme une menace. Moi, je voudrais soumettre à la considération des chrétiens, des chrétiens-démocrates européens de voir une potentialité dans l’Europe de la liberté et l’ordre de la liberté. On ne peut dicter la vérité, on ne peut que la professer. La tyrannie peut certes se passer de la foi, mais la liberté jamais. Et c’est dans le monde libre et dans la culture européenne libre que l’on peut le mieux professer la vérité. Voilà pourquoi nous ne devons jamais nous mettre du côté du recours à la force de l’État, de l’uniformité dictée par l’État mais du côté de la société libre. Nous devrions avoir confiance dans la force de conviction de nos paroles et dans notre vérité qui est apte à organiser la communauté européenne sur ces bases.
Mesdames et Messieurs,
Nous avons besoin d’assurance : de l’assurance politique et de l’assurance politique chrétienne. Notre communauté est soudée par notre appartenance à une histoire universelle. Chacun peut s’y retrouver, trouver sa propre histoire, de l’aide pour prendre ses décisions, voir les fausses routes, les conséquences des mauvaises et des bonnes décisions. Cela est vrai aussi pour la politique, les gens qui s’occupent de la vie publique, les mouvements et les partis.
Mesdames et Messieurs,
Pour les chrétiens, la participation au combat politique représente une question difficile et soulève de graves dilemmes. Je plaide pour que nous n’ayons pas peur de ces questions difficiles. Nous devons concilier les aspects de la représentation de la vérité et celui de l’obtention de la majorité. Dans des pays et sur un continent où nous ne pouvons pas être sûrs que la majorité des Européens se considèrent encore comme étant des chrétiens. Car si nous obtenons la majorité, c’est-à-dire le pouvoir mais nous ne représentons pas la vérité comme nous l’entendons, nous les chrétiens, alors à quoi sert le pouvoir ? Et si nous représentons la vérité mais nous ne sommes pas capables d’obtenir et de garder la majorité, alors nous avons en vain notre vérité, nous ne pouvons pas en tirer profit pour le bien de notre nation. Nous ne sommes pas des kamikazes politiques chrétiens mais des dirigeants politiques responsables qui avons besoin à la fois de la vérité et de la majorité pour réaliser nos idées. Certes, pendant ce temps, nous devons savoir, Mesdames et Messieurs, que tout en disposant de la vérité et de la majorité, et même si nous réussissons à les concilier, nous ne serons pas capables de perfection dans le monde car nous ne sommes que des hommes. Voilà pourquoi le point de départ d’une politique chrétienne ne peut être autre que l’humilité, la modestie et un réalisme judicieux.
Mesdames et Messieurs,
Le temps dans lequel nous vivons et la manière dont nous vivons nous menace du danger spirituel effrayant de nous perdre dans les menus problèmes quotidiens, dans la lutte pour subvenir à nos besoins de demain, de nous perdre dans les détails sans voir l’ensemble. Je suis cependant convaincu que la chrétienté nous soulève de ce sentiment de perte et de délaissement et nous met dans les contextes qui fournissent la grandeur de chaque vie humaine et de chaque communauté spirituelle et nationale. Un poète a écrit une fois : « Homme, que t-arrive-t-il, pourquoi es-tu désespéré ? Dieu te pardonne tout sauf ton désespoir. »
Il y a plusieurs centaines d’années, quelqu’un a demandé à un chef d’église ce qu’il ferait si on lui disait que le lendemain ce serait la fin du monde. Il a répondu : je planterais aujourd’hui même un pommier. Malgré la situation malencontreuse qui règne aujourd’hui dans la politique européenne, malgré tout l’avantage dont disposent nos adversaires à Bruxelles, cette compréhension, cet état d’âme est capable de donner le courage et l’assurance nécessaires à une politique européenne chrétienne.
Schuman disait et l’on voit aujourd’hui qu’il avait raison : L’Europe sera chrétienne ou elle ne sera pas. Je crois que c’est l’unique bonne réponse aux défis posés au 21e siècle à l’Europe.
Pour cette réponse, je vous souhaite de la force de l’âme, de la persévérance et beaucoup de succès.
(orbanviktor.hu)